(KB SAP CONSULTING) – Apparu dans les années 1990, le phénomène des motos-taxis, communément appelées « bend-skin », a pris de l’ampleur après la dissolution, en 1995, de la Société des transports urbains du Cameroun (SOTUC), une entreprise à économie mixte active à Douala et à Yaoundé.
De Kinshasa à Dakar, en passant par Douala, Lagos ou Lomé, le constat est le même. Des infrastructures routières en état de délabrement très avancé, une croissance démographique accentuée, un exode rural massif, tels sont les principaux maux de ces villes. Il en ressort un problème de congestionnement résultant de l’étalement urbain, une insécurité grandissante, une prolifération des constructions anarchiques ainsi qu’un développement des activités informelles, dont les motos-taxis. Ces dernières, bien que saluées par les uns pour bon nombre de solutions qu’elles apportent, sont pour autant décriées par d’autres. En effet, ce mode de transport revêt de nombreux dangers qu’il convient de relever, car il en va de la santé des camerounais et de l’économie du pays.
Historique de l’évolution des motos-taxis dans la ville de douala
Les crises socio-politiques des années 1990 caractérisées par le phénomène des « villes mortes » ont embrasé tout le pays. Douala, ville portuaire et poumon économique du pays, n’a pas échappé à la règle. Cette situation ayant favorisé la paupérisation des populations jeunes, ces derniers se sont trouvés contraints de se tourner vers les activités informelles. Il s’en est suivi de la fermeture en 1994 de la Société des Transports Urbains du Cameroun (SOTUC) faute du renchérissement des prix des pièces de rechange, des coûts élevés de maintenance et de la suppression des subventions de l’Etat en pleine période de dévaluation du Franc CFA. Depuis lors, le nombre de motos-taxis (communément appelés « bend-skins ») n’a cessé d’augmenter dans la ville de Douala, pouvant atteindre un effectif de 70 0001 engins recensés, voire plus, selon plusieurs sources.
Aujourd’hui dans la ville de Douala, le mode de transport par motos demeure le plus employé, loin devant les taxis ou les voitures personnelles. En effet, ce mode de transport assure plus du tiers (36 %) des déplacements quotidiens des populations de la ville de Douala.
Effectif des victimes des accidents de motos
Source : Hôpital de Laquintinie, Enquête TCHENTEU JOEL, 2020
Pollution et conséquences sur le climat
Aux côtés du bois de chauffage et de l’activité industrielle, les moyens de transport constituent l’une de principales sources de pollution atmosphérique. Cette dernière a un impact direct sur la santé des personnes et sur le réchauffement climatique. En effet, la plupart des véhicules à deux (02) roues motorisées sont constitués d’un moteur de type deux (02) temps, qui émet une importante quantité de dioxyde de carbone (CO2), un des gaz à effets de serre responsables du réchauffement climatique. Ainsi, bien qu’en effectif inférieur à celui des véhicules à quatre (04) roues, les deux (02) roues motorisées libèrent en moyenne 100 fois plus de CO2 que les autres véhicules.
Répartition de la quantité de CO2 émise par mode de transport à Douala
Source : Hôpital de Laquintinie, Enquête TCHENTEU JOEL, 2020
Impacts sur la santé
Par ailleurs, le CO2 associé aux autres types de gaz tels que le monoxyde de carbone (CO) et les oxydes d’azote (NOX), ainsi qu’à la poussière exposent les conducteurs et les passagers à des risques de troubles et de maladies respiratoires, voire cardio-vasculaires. En effet, les particules de plus de 10 μm qui ne peuvent être inhalés entrainent des irritations au niveau de la peau et des yeux. Celles qui sont inhalées sont capables d’atteindre la bouche et les voies respiratoires supérieures, pouvant déclencher des affections telles que l’asthme, les pneumonies ou encore les rhinites. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) estime à environ sept (07) millions, le nombre de décès prématurés dus à l’exposition à la pollution atmosphérique.
Au Cameroun, les infections des voies respiratoires inférieures sont la deuxième cause de décès après le VIH. Elles sont responsables d’environ 29 000 décès chaque année.
Exode rural et baisse de l’activité agricole
Fort des revenus qu’elles procurent sur le court terme, les motos-taxis attirent de plus en plus les jeunes. Ces derniers quittent les campagnes en direction des villes. Il en résulte une baisse de la production agricole dans les grands bassins de production, entrainant une hausse du prix des denrées alimentaires.
Conclusion
Au-delà d’être le moyen de transport le plus utilisé par les habitants de la ville de Douala, les motos-taxis sont pour autant à risques, non seulement la santé des Camerounais mais aussi la santé économique du pays.
Apparue il y a une trentaine d’années comme une solution ponctuelle aux maux d’une période de tumultes économiques, mais censée être transitoire, le phénomène de motos-taxis est devenu une réponse précaire à la question du chômage de masse non sans être un catalyseur des incivismes les plus obscurantistes au Cameroun.
Il semble aujourd’hui inimaginable d’entrevoir la problématique du transport dans nos villes et dans nos campagnes en faisant fi des motos-taxis, tant les services qu’elles rendent sont grands, aux côtés des dommages inestimables sur le plan économique qu’elles occasionnent.
Toutefois, l’essor de cette activité et les avantages que peuvent en tirer les usagers au quotidien ne sauraient masquer ni les conditions rudes de travail de ceux qui officient dans cette profession, ni les questions de sécurité et de santé publique qu’elle pose. Penser l’attractivité d’une ville comme Douala de demain passera nécessairement par la conception d’un réseau de transport et viaire adapté aux besoins des usagers et à l’environnement de la ville, qui soit efficace, propre, sûr, et dont un essaim de motos roulant à toute allure ne saurait être qu’une caricature.
Cela nécessitera des investissements importants en matière d’infrastructures, de la pédagogie à destination des usagers, de l’accompagnement des conducteurs pour leur reconversion, et une collaboration entre la Mairie, la Région et l’État central pour que la question de la mobilité soit une priorité nationale, et non une problématique locale comme une autre.
NOTES
[1] D’après une communication de la CUD et du syndicat des mototaxis, relevé dans l’édition du Journal « Cameroon Tribune » du 21/01/2021.
[2] Recherche de laboratoire du Paul Scherrer Institut (PSI), Suisse, 2014.
REFERENCES
[1] AMOUGOU MBARGA Alphonse Bernard (2010), « Le phénomène des motos-taxis dans la ville de Douala : crise de l’État, identité et régulation sociale. Une approche par les Cultural Studies », dans Anthropologie et Sociétés, 34(1), pp. 55–73. [2] CUD (2018), Le plan de mobilité urbain soutenable. [3] AGOSSOU N.S.A, 2004, Les taxi-motos zemidjan à Porto-Novo, n°32, p 135-148. [4] TCHENTEU Joëm (2021), Transport urbain par moto-taxis et risques sanitaires à Douala-Cameroun, Revue Espace, territoires, sociétés et santé 4 (8), 37-48. [5] Banque Africaine de Développement (BAD), Note sur le secteur de transport au Cameroun [6] Hervé L., Lucie A., Fanou, Vikkey H., Facteurs de risque professionnels et perceptions de la pollution de l’air chez les taxi-motos au Benin,SFS, santé publique, 2018, vol 30, p 125-134 [7] Stephen Leonel TECHOUNG MOMO, Taxi-moto à Douala, Alternative du transport en commun ou quel prix à payer ? [8] Alti-Muazu M, Aliyu AA. Prevalence of psychoactive substance use among commercial motorcyclists and its health and social consequences in Zaria, Nigeria. Ann Afr Med. 2008;7(2):67-71. [9] Yves Bertrand Djouda Feudjio, Les jeunes benskineurs au Cameroun : entre stratégie de survie et violence de l’Etat, presses de Sciences Po 2014/3 N° 71 I pages 97 à 117. [10] Lawin H, Agodokpessi G, Ayelo P, Kagima J, Sonoukon R, Ngahane BHM, et al. A cross-sectional study with an improved methodology to assess occupational air pollution exposure and respiratory health in motorcycle taxi driving. Sci Total Environ. 2016; 550:1-5. [11] Badji OUYI, le secteur informel, une solution au problème d’emploi ? Les leçons d’une étude empirique auprès des conducteurs de taxi-motos, département de psychologie, université de Lomé (Togo), 2010. [12] G. Hensel Fongang, Jassemine Laure Nzoffou, Kaffo Celestin et Martial Melacho Nguedia, Pratique des activités non-agricoles (moto-taxi) par les jeunes ruraux et incidences dans le processus d’insertion socio-professionnelle en agriculture à Okola Centre-Cameroun. Revue Territoires Sud <92>n°2, novembre 2021. [13] Cameroun Tribune, Edition du 21/01/2021.
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